Coleen

Coleen :

J'ai 22 ans, je viens de Bordeaux, je suis née aussi à Bordeaux, je n'ai jamais vraiment bougé. Et là du coup je suis en dernière année de BUT métier du multimédia et de l'internet

Je suis la dernière de ma maman : j'ai quatre grandes sœurs et un grand frère, et maintenant deux petits demi-frères. J'ai grandi grosso modo qu'avec ma maman depuis mes 10 ans. Et à peu près depuis mes 10 ans j'aide ma mère sur les marches administratives. Les premiers, c'était… je me souviens… J'aime beaucoup les ordis. J'ai toujours aimé beaucoup les ordis, donc du coup, c'était comme un jeu. Mais les [premières démarches], c'était avec Pôle emploi. Je devais l'aider à pointer assedic, je pense que ça s'appelait un truc comme ça. Et il fallait juste cliquer… je ne sais plus ce qu'il fallait faire mais en tout cas, je le faisais. Genre c'était pour aider ma mère. Grosso modo, je pense que c'est les premières démarches un peu administratives auxquelles j'ai aidé. 

Et je pense que comme j'ai été l'enfant beaucoup sur les ordinateurs, l'enfant beaucoup sur l'ordinateur, c'est venu sur moi.

Parce qu'en général, j'avoue que ça arrive pas mal au plus grand dans les familles de devoir gérer toutes les démarches administratives et tout, mais c'est sur moi la dernière que s'est tombée, donc dommage. Et du coup, depuis, je gère quasiment tout l'administratif de ma mère. C'est l'âge de mon frère aussi. Parce que lui, il avait juste des difficultés et tout donc c'est plus simple que ce soit ma mère qui gère, donc moi, dans un sens. 

Donc depuis même la sixième, je pense que j'ai fait toute seule mes dossiers à peu près de cours chaque année pour m'inscrire. Là, ça fait depuis, je pense que c'est super digitalisé que je fais les impôts de ma mère et de mon frère, que je gère les comptes de ma mère et de mon frère, que je gère la wifi, que je gère EDF, que je gère à peu près tout ce qui est administratif en vrai. Même l'aide... le syndicat des entreprises de ma mère. Ouais, je gère aussi. Le CPF aussi, je pense, de ma mère. Vraiment, je pense que toutes les démarches qui peuvent exister, je les ai déjà faites.

La CAF : la prime d'activité. Les amendes aussi de mon frère et de ma mère. Je pense à peu près tout ce qui peut exister à gérer sur Internet, je le fais. Et en fait, c'est un peu chiant. Amélie Santé ! Mais attends, mais tout ANTS aussi. Genre les demandes pour les permis pour avoir le NPH de ma mère et de mon frère. Attendez, je suis en train de faire tout France Connect. L'identité numérique de ma mère, je pense que ça aussi, je l'ai fait. Donc à peu près tout. 

Ça fait beaucoup, mais en fait, je pense que de fil en aiguille, comme j'ai toujours été assez curieuse avec Internet et j'aime trop faire. Quand j'étais petite, je le faisais beaucoup parce que ça me faisait rire. Enfin, pas que ça me faisait rire, mais voilà. Là, ça commence vraiment à être méga, méga relou et source de tension. Parce que j'ai l'impression qu'il n'y a pas une volonté de vouloir faire par soi-même. Parce que j'essaie de montrer que… maintenant, en plus, je suis en MMI, donc j'essaie d'expliquer que l'UX est fait pour être de plus en plus simple, même si ça reste compliqué sur certaines démarches, mais il y en a d'autres là où c’est quand même  pas si compliqué : genre faire un virement à un truc que j'ai déjà enregistré. 

J'ai préféré même déménager de chez moi, même si je suis pas vraiment 100% partie mais un peu plus quand même. Ouais, expliquer que ce n'est pas si compliqué sur certains points, mais ça a été encore, pour le coup, même ce week-end, une histoire de, genre : est-ce que vous pouvez gérer vous-même les trucs personnels ? Parce que là, il y a les démarches administratives, puis il y a même les trucs personnels qui n'ont même pas d'urgence. 

En ayant fait mes démarches toute seule, sans même consulter ma mère, parce que j'avais les mots de passe d'à peu près tout, j'ai récupéré la déclaration aux impôts, qui est différente de la fiche de l'avis d'imposition – genre, je l’ai découvert. Et j'ai pu récupérer toute la data, même faire littéralement mon... Comment ça s'appelle ? J'ai oublié comment ça s'appelle. Mon justificatif de domicile. Mais comme je ne suis pas ma mère, il faut que je prenne sa petite entité, mais comme j'ai déjà sa petite identité, ainsi qu'à peu près tous les membres de ma famille pour pouvoir faire toutes les démarches : en général, je pense que je suis bien pour pouvoir faire les démarches toute seule.

Bref, pour expliquer comme ça, pour le coup. Moi, j'essaie de me gérer, donc vous aussi, essayer de vous gérer un petit peu, mais ça ne passe pas trop.

CLaD :

C'est dû à quoi ? C'est la langue, l'illectronisme, d'autres barrières ?

Coleen :

Ma maman, elle parle bien français. Elle parle bien français, elle lit bien français. Peut-être l'illectronisme au début, parce que c'était nouveau pour beaucoup de parents et même parce que comme je dis, ça date de quand j'étais petite, donc ça commence à faire. Puis, à la fin, c'est devenu juste la facilité de demander à la personne qui sait faire. Parce que c'est plus simple, ça va plus rapidement. Et oui, juste pour aller plus rapidement, on peut demander à franchir.

CLaD :

Étant donné que tu étais vachement à l'aise avec l'ordinateur, ou en tout cas que tu aimais beaucoup être dessus : est-ce que pour réaliser ces démarches, tu as trouvé que sur Internet, sur toutes les ressources auxquelles tu avais accès via l'ordinateur, tu pouvais avoir de l'aide pour faire toutes ces démarches ?

Coleen :

Comme je l'ai fait depuis que je suis petite, j'ai commencé un peu à capter la manière dont les sites sont composés en général. Donc, je n'ai jamais vraiment cherché l'aide pour les choses parce que j'ai l'impression qu'en cliquant là, là et là, je me retrouverai là. Donc, je n'ai jamais vraiment cherché d’aide. Il y a des sites qui sont plus compliqués que d'autres, par contre. Comme l'identité numérique, je pense que même moi, j'étais en mode... C'est dur à comprendre, mais Il y a des sites là où c'est de plus en plus bien expliqué, genre Amélie-santé, la CAF, je pense que c'est les sites les plus simples. Je pense que en fait les sites là où on a le plus besoin de faire des démarches, en tout cas pour les gens qui ont des difficultés, sont mieux expliqués que d'autres, comme par exemple l’ANTS.

CLaD :

Est-ce que parmi les difficultés que tu as pu rencontrer, donc tu en as cité plusieurs, est-ce que le langage, le français administratif qui était employé a pu, toi, te freiner dans les premiers temps, avant que ça devienne une habitude, et peut-être freiner ta mère dans les démarches ?

Coleen :

À part une fois, du coup, c'était la déclaration d'impôt qui était différente de l'avis d'impôt qu'on nous demande tout le temps. Ça peut être compliqué, je pense, sur certaines démarches. Par exemple, l'impôt, ce qu'on demande pour les impôts, ou même pour la CAF, parfois, sur les revenus, ça peut être très compliqué à comprendre, les pensions. En fait, est-ce qu'on doit mettre ce qu'on gagne, est-ce qu'on ne doit pas mettre ce qu'on gagne, ça peut être compliqué, j'avoue.

Même pour moi, qui ai l'habitude de le faire, parce que parfois, oui, c'est bête, mais j'étais en service civique, il n'y avait pas écrit service civique, enfin, il y avait écrit salaire, mais je ne savais pas si ça rentrait dans un salaire, étant donné que c'est une… C'est pas un salaire, justement, donc, du coup, je ne savais pas s'il fallait déclarer, donc tout ce jargon-là au niveau des revenus, ça peut être compliqué, au niveau des déclarations aussi, ça peut être compliqué, mais il y en a qui sont vraiment simplifiées, donc ça dépend vraiment, je pense, de ce qu'on demande, mais il faut être un peu habitué, ouais. Caution familiale : si t'as pas l'habitude, tu ne sais pas forcément où est-ce que tu le retrouves, on te demande le quotient familial, mais ce n’est pas le même que de la CAF, c'est un peu... 

Ça peut être dur, oui, moi, je pense que ça peut être dur, je ne sais pas si c'est la question à la base, mais moi, je le trouve parfois simple sur certaines démarches, comme photo d'identité, avis justificatif de domicile.

Maintenant que je le dis, je pense que si tu ne le fais pas tout le temps, ça peut être dur.

CLaD :

Par rapport à des questions un peu plus personnelles, tout à l'heure, tu parlais presque de conflits, en tout cas de tensions, aujourd'hui. Est-ce que tu peux un petit peu nous dire comment t'as fait pour, par le passé et maintenant, jongler entre les tâches que tu devais faire pour ta famille, donc dans le cadre des démarches administratives, et ta vie personnelle ? 

Parce-ce qu'en tant qu'enfant ou aujourd'hui, comment ça se passe, la dualité un petit peu de ces deux choses ?

Coleen :

Du coup, sans trop rentrer dans les détails, la chose la plus simple, c'était de partir à la maison, parce que du coup, à la maison, c'était trop de demandes. Même là, parce que là, je suis à Bordeaux, et ma maman est aussi à Bordeaux, donc j'avoue que ce serait un peu une économie d'y aller, d'y rester là-bas, mais c'est un peu plus compliqué que ça.

Donc du coup, rien que pour ça, je préfère même rester de mon côté, et de me réserver le temps de quand je vais là-bas pour les démarches, parce que quand j'y vais, il y a forcément des trucs à faire. Donc du coup, j'y vais même avec mon ordi tout le temps, comme ça, je sais que tout est déjà sur l'ordi.

Mais ça a été très compliqué, vraiment, ça a été une des raisons principales, rien que ce problème-là était l'une des raisons principales de mon départ, parce que c'est vraiment trop, ça prend beaucoup de temps, et beaucoup aussi les études qu'on faisait à la base, c'est parce que je suis partie il y a deux ans, donc en deuxième année, je faisais beaucoup de 9h-18h, puis à 19h, j'étais en train de régler tous les problèmes, donc c'était très épuisant mentalement.

Bien qu'avant, ça l'était déjà, là, c'était un niveau au-dessus, parce que j'avais pas du tout le temps pour ma vie perso, tellement ça prenait de temps. 

CLaD :

Et quand tu regardes un petit peu cette évolution, ton parcours, toute cette aide que t'as donné… On a certaines témoignantes et certains témoignants qui nous ont dit qu'elles et eux voyaient du positif par exemple, parce qu'ils avaient gagné en maturité, gagné en autonomie, tu penses quoi de ça, toi ?

Coleen :

Mais vraiment, comme on en parlait la dernière fois, c'est que genre, il y a du négatif sur le temps, pour moi, il faut doser, il y a une dose à avoir, et là peut-être que on est au-dessus, parce que j'ai beaucoup de choses à faire. Mais par contre, niveau maturité, je pense que ça m'a même donné des clés sur ma manière de travailler, même là, au niveau des études en fait, à chercher constamment les choses, malheureusement, peut-être quand mon gré, mais ça m'a vraiment rendue indépendante sur plein de choses, et maintenant quand je ne trouve pas les choses, j'essaie de les chercher, je pense, bon… maintenant je me heurte à des murs qui peuvent s'appeler ruby on rails et plein de trucs, mais en vrai je pense que sur internet, il y a vachement de trucs que je peux trouver tout seule.

Donc ça m'a donné en tout cas un peu d'indépendance au niveau des… bon, je ne parle même pas des démarches, parce que là, je pense qu'on est full indépendance, mais genre même en général, j'essaie de trouver par moi-même sur internet, ça m'a donné la curiosité, parce que j'ai l'impression que parfois les interfaces, elles sont faites pour qu'on puisse les utiliser, voilà.

CLaD :

Est-ce que c'est un sujet dont tu as pu parler avec d'autres personnes autour de toi, des personnes qui étaient aussi concernées, tout comme toi, ou alors juste des amis ? Est-ce que c'est une situation que tu peux partager ? 

Coleen :

Ah oui, vraiment, genre déjà, la personne qui est bien au courant de cette situation, c'est ma mère, elle le sait, je lui dis, enfin, je lui en parle en tout cas. Je lui fais part du fait que pour moi, il faut plus d'autonomie de sa part, parce que là, je suis partie de la maison, mais peut-être qu'un jour, je partirai plus loin, peut-être qu'un jour, ce sera mon tour d'avoir un foyer, je ne sais pas, je ne pourrai pas m'occuper autant des démarches administratives, et donc du coup, elle est la première au courant, ma famille bien évidemment, mes autres sœurs, qui malheureusement ne sont pas épargnées à 100% de toute la situation.

Même s'il y a beaucoup de choses qui me reviennent, quand ce n'est pas moi, c'est quelqu'un d'autre dans la famille finalement, donc même mes plus grandes sœurs qui ont leur enfant doivent gérer les démarches administratives de ma mère, donc un peu dur, donc on en parle. Et puis même mes cercles, mes amis, ils ont courant, ils sont courants parce que ça a été une raison de départ de la maison, donc comme j'expliquais, tout le monde est en mode « non, ce n'est pas normal, il faut que tu lui dises non », et du coup, je suis en mode « oui, mais du coup, ça va juste se rabattre sur quelqu'un d'autre ». Bien que je pense qu'il y ait des endroits où il y a de l'aide administrative et que c'est plus adapté de demander de l'aide là-bas, mais à un moment peut-être, faudrait-il essayer par soi-même, je pense, de faire des démarches.

CLaD :

Ok, ça veut dire que toi ou ta mère, vous n'avez jamais envisagé de demander de l'aide à des services adaptés, que je pense aux associations ou même aux services d'État qui existent pour ça ? 

Coreen :

Si, carrément en fait, si, si, ma maman, elle travaille au centre d'animation. Donc je pense que c'est l'un des endroits là où tu as le plus d'aide, il y a des, j'ai oublié comment ça s'appelle, mais des moments là où les gens de la CAF viennent, des moments là où il y a beaucoup d'aide dessus, même moi j'ai fait un service civique à la mission locale. En fait on est bien concernés sur le fait qu'il y a des trucs qui existent et elle les utilise ; je pense que même ses collègues l'aident sur plein de choses, elle essaye en tout cas de déléguer, mais c'est juste que ces aides-là existent et qu'on peut les utiliser, mais il y a après une volonté de rendre autonome la personne, et c'est ça qui est, je pense, biaisé, c'est que du coup il n'y a pas de la démarche derrière, donc c'est constamment, ça ne marche pas en fait.

Mais après je pense qu'il y a vraiment, en tout cas du côté de ma mère, un mur peut-être devant l'ordinateur, enfin un truc qu'elle pense infranchissable et qu'elle veut pas affronter peut-être, plus ça va, plus elle vieillit du coup, donc plus elle se dit, « Je pense que c'est mort ». Mais elle a essayé, je vous avoue qu'elle a essayé de faire un truc et j'ai même trouvé ça mignon, c'était de remplir un Google Sheet qui mettait ses horaires de travail. C'était mieux que de rien avoir, parce qu'elle était en mode, bon il faut que je sois indépendante. Mais il y a d'autres choses pour lesquelles elle devrait être plus indépendante, mais juste pour elle, rien que pour elle, je pense que ce serait plus simple de ne pas avoir à compter sur les autres comme ça.

CLaD :

Par rapport à toutes ces situations, donc d’aidantes, tout ce que tu viens de partager, tout ce que tu as vécu, est-ce qu'il y a des choses qui te semblent importantes à dire, à exprimer sur le thème ?

Coleen :

En tout cas, c'est genre déjà de… quand on peut, essayer de doser, essayer de dire non parfois à certaines démarches, parce que sinon après ça peut aller trop, ça peut ne pas s'arrêter. Essayer même si c'est possible d'accompagner le parent vers une indépendance.

En tout cas, moi c'est ce que j'ai essayé sur ma mère, je pense qu'elle a 4 comptes en banque ou 3, 3 on va dire et au début, je gérais vraiment les 3 à fond et au bout d'un moment, je lui ai dit en vrai, installe-les sur ton téléphone et maintenant c'est toi qui gères. Et si tu as besoin d'aide, je vais te dire. 

Finalement, il y en a un qu'elle n'a pas réussi à prendre, donc ce n’est pas très grave, parce que c'est celui qu'elle utilise le moins. Mais en gros, maintenant, elle me dit « Comment on fait un virement ? ». Je lui dis, déjà, souviens-toi de ton mot de passe. Je t'aide à être indépendante, mais je ne le mets plus sur mon téléphone. 

Genre j'ai vraiment essayé de l'accompagner sur l'autonomie de son côté. Parce que sinon, ça ne peut pas s'arrêter, ça peut juste s'aggraver. Et le dire aussi, quand on peut, parce qu'il n'y a vraiment pas de violence, heureusement, encore heureux, sur ça avec ma mère et je peux me permettre de lui dire donc je lui dis que ce n’est pas normal, déjà, parce que malheureusement, ce n’est pas trop normal, je crois. Et je l'ai capté après, mais bon, j'ai capté. Et puis après, que du coup, il faudrait qu'elle soit plus autonome, donc accompagnée sur Web, comme je l'ai dit. Plein de petits trucs qu'ils peuvent faire eux-mêmes, parce que parfois, ils peuvent... En tout cas, quand il n'y a pas la barrière de la langue, parce que ça aussi, c'est autre chose.

Mais quand elle n'y est pas et que c'est juste au bout d'un moment, à force d'avoir laissé ça, c'est juste d'essayer de trouver des trucs pour pouvoir rendre ses parents autonomes. C'est tout bon pour nous. On te remercie. Merci beaucoup. Merci à vous.