Rebecca

L'entretien

À propos de Rebecca

Rebecca* est une jeune femme qui a accompagné et accompagne encore ses parents, et notamment sa mère, dans de nombreuses démarches administratives. Elle n'a pas voulu donner son vrai prénom ni nous laisser enregistrer sa voix, mais elle nous offre un témoignage précieux.

*Le prénom a été modifié.

Son témoignage

On utilise CLD pour «Casser La Démarche ».

CLD : Quel est ton âge ?

R : 21 ans


CLD : As-tu déjà eu besoin d’aider tes parents dans des démarches administratives ? Si oui te sens tu à l’aise de nous en parler ?

R : Oui je me sens à l’aise d’en parler.


CLD : Quelle(s) démarche(s) as tu effectuée(s) ?

R : Mes parents sont originaires du Surinam, ils sont arrivés assez jeunes sur le territoire français mais la langue française n’était pas maîtrisée.

Alors au début, c'était surtout au niveau de la langue française. Comme j’étais à l’école, ce que j’apprenais, [ma mère] l’apprenait en même temps que moi. Donc en plus de mes devoirs, je devais faire mes devoirs avec elle pour qu'elle aussi puisse apprendre.

Après c’était surtout pour des documents de la Sécurité Sociale, au niveau des impôts, si y’avait des changements d’adresse, ça pouvait vraiment être des petites choses banales, ou encore au niveau de la carte de séjour, donc la préfecture, s’il y avait des documents ou tout simplement la facture qu’il fallait lire parce qu’il y avait un mot en plus qu’elle comprenait pas et qu’il fallait éclaircir.

C’était vraiment surtout les tâches administratives banales (enfin, qui peuvent paraître banales).


CLD : Et tu saurais dire à peu près – parce que là tu parles de l’école –, à quel âge t’as commencé à aider tes parents ?

R : 8 ans ? 8 ans on est en CM1… CE2, vers là.


CLD : À quelle fréquence est-ce que ça arrivait ?

R : C’était assez ponctuel. Au niveau de la langue, je voyais pas comme quelque chose que je devais faire pour elle : c’était amusant qu’elle puisse apprendre et moi aussi donc c’était un petit peu notre quotidien. J’apprends des nouveaux mots et je lui dis qu’est-ce que j’ai appris donc en fait c’était pas contraignant.

C’était surtout au niveau des démarches à remplir et là aussi au début ça m’embêtait pas dans le sens où elle faisait toujours 3 copies : 1 pour moi, 1 pour mon frère et 1 pour elle. Au final, elle prenait jamais les siens (ndlr: de documents), elle prenait soit le mien soit celui de mon frère mais je le sentais pas trop.

C’est arrivée au collège, je me suis dit « Bon voilà, quand tu m’appelles pour remplir un document j’aimerais bien rester dans ma chambre ou faire autre chose, j’ai pas forcément envie de t’aider ». Et je le faisais quand même, sinon j’avais quand même cette culpabilité de me dire « Ah elle m’a demandé quelque chose, je sais qu’elle sait pas et je l’ai pas aidée ».


CLD : Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ?

R : Généralement non, parce qu’il y avait toujours cette possibilité : en fait quand je ne savais pas, on allait sur internet. Ou ça pouvait arriver que je ne sache pas comment remplir, du coup c’était mal fait et on avait les conséquences. Voilà on a mal rempli, on a fait l’erreur et ok, c’est pas grave.

CLD : Et sur Internet t’as trouvé que les informations étaient bien référencées et compréhensibles ? 

R : Je m’en rappelle plus, honnêtement je m’en rappelle plus, mais généralement (ou peut-être je n’avais pas de retour quand c’était mal fait) ça allait. De toute façon, entre elle qui ne savait pas trop et moi qui savait à peu près, elle pouvait pas savoir non plus s’il y avait des erreurs ou que l’information que je lui donnais était bonne ou pas. Mais généralement ça allait, en tout cas à ma connaissance.


CLD : Est ce que le langage et surtout le langage administratif t’a déjà freiné dans les démarches ?

R : Oui, clairement. C’était un frein mais, après, ma mère avait quand même cette facilité à s’entourer de personnes qui savaient, donc quand on ne savait pas, on demandait. Mais généralement quand elle n’avait pas envie ou qu’elle ne voulait pas forcément parler parce que c’était personnel, on galérait ensemble, à chercher, à comprendre, parfois on était à côté de la plaque. Mais oui, le langage était parfois compliqué.


CLD : Toujours dans le thème du langage, à l’époque, quand tu aidais tes parents, eux ils parlaient français ?

R : Ma mère elle avait quand même des difficultés, elle se débrouillait pas mal, mais elle avait quand même des difficultés. Mon père ça allait. 


CLD : si tu devais noter le niveau de ta mère en français entre 0 et 5 ?

R : 3. Et encore : 2,5. Non : 2. 


CLD : Quelle(s) autre(s) langue(s) parle-t-elle ?

R : Elle parle le sranan et le saramaka, qui est un dialecte du Surinam.


CLD : Et j’imagine que ces langues ne sont jamais employées dans les démarches administratives ? Est-ce que tu as pu trouver une aide dans ces langues ?

R : Non. Aujourd’hui ça commence, on arrive à aller dans une administration française et y’a une collègue ou quelqu’un qui peut maîtriser au cas où mais c’est jamais ce qu’on propose aux personnes dès le départ.


CLD : Tout à l’heure tu disais que tu allais sur internet pour t’aider, et que parfois tes parents faisaient appel à des personnes qu’ils connaissaient, est-ce que y’a d’autres ressources en ligne, des services qui permettent de faciliter les démarches ; est-ce que tu as déjà utilisé des outils numériques ?

R : Non, on allait, par exemple pour remplir un chèque on allait comprendre (ndlr : sur internet) les différents libellés c’était « qu’est-ce qu’on met dans la case du chèque ? » et puis sur la partie image on t’explique un petit peu qu’est-ce que tu dois mettre à peu près.


CLD : Et est-ce que tu as déjà entendu parler ou eu accès à des services ou sociaux ou associatifs qui fournissent cette aide ?

R : Oui. Alors, y’a France Services et on a une association, la DAC, qui accompagne les personnes. J’ai jamais été à la DAC mais France Services je sais qu’ils ont accompagné ma mère dernièrement parce que je voulais pas… enfin… j’avais pas le temps pour l’aider donc je l’ai orientée, je lui ai dit « Va à France Services, ils accompagnent les personnes, ils vont aider ».


CLD : Est-ce que quand tu aidais tes parents, eux ils avaient un accès à internet ? 

R : Oui. 


CLD : Et c’est toujours le cas maintenant ? 

R : Oui.


CLD : Est-ce qu’il y avait un moyen de naviguer avec un ordinateur chez toi ?

R : À un moment donné. Ça n’a pas toujours été le cas, à un moment donné oui et aujourd’hui non, elle a son téléphone donc ça va.


CLD : Quand tu aidais ou que tu aides, comment est-ce que tu gérais et gères le jonglage entre tes propres charges, ton propre emploi du temps, ta vie et les tâches confiées par tes parents ? T’arrives à trouver le temps, l’énergie ? Comment tu t’organises ?

R : Avant, c’était ma priorité. C’était ma priorité : aider ma mère, aider ma mère. Donc forcément y’avait des choses qui passaient à côté si on devait faire quelque chose à l’extérieur donc je… ma mère passait en avant.

Sauf qu’à un moment donné je sentais que ça devenait trop lourd et en fait j’avais pas d’équilibre parce que si je l’aide, ok mais moi j’ai pas fait ce que je voulais donc je suis pas non plus très contente. Et si je ne l’aide pas je vais faire ce que je veux mais après je culpabilise. 

Donc maintenant au lieu de faire pour elle je lui dis « Je fais une fois avec toi et après tu fais toute seule et si t’y arrives plus, tu vas gérer ». Au fur et à mesure elle a pris cette habitude, on s’assoit, je lui explique 1 fois et si elle a pas compris elle cherche. 

Je fais plus pour elle, je fais avec elle.


CLD : Est-ce que tu en ressors du positif ?

R : Oui, ça a pas toujours été le cas puisque à un moment donné je me suis dit en regardant plein de trucs sur Instagram j’ai lu mais j’ai des responsabilités que je devais pas avoir, je suis pas adulte. Mais au final en fait c’était formateur parce qu’en grandissant y’a des choses que je sais faire parce que j’ai appris à faire : je savais déjà les faire, les démarches auprès de certaines administrations, je peux les faire donc je pense que c’est bien et ça me responsabilise.


CLD : Est-ce que c’est quelque chose dont tu parles facilement ? Que ce soit par exemple une discussion avec ta mère, avec des personnes qui partagent cette expérience-là ou juste tes amis… Est-ce que c’est un sujet que tu peux aborder facilement ?

R : Oui. Aujourd'hui je dirais que oui. Ça n’a pas toujours été le cas parce que parfois je culpabilisais, j’étais un petit peu anxieuse, mais aujourd’hui ça va. Je pense que comme j’apprends encore (c’est pas encore totalement ça) à faire la part des choses, je me mets plus de pression ou je récupère plus son émotion par exemple son stress parce qu’elle n’arrive pas à remplir telle démarche, ce n’est plus mon stress. C’est sa problématique, sa situation administrative, pas la mienne.


CLD : Est-ce qu’à des moments où tu t’es sentie un petit peu submergée, s’il y a eu des moments comme ça, tu as pu demander ou trouver de l’aide ?

R : Oui mais disons qu’à l’époque j’aimais pas demander de l’aide. Bon aujourd’hui avec grand plaisir je demanderais de l’aide mais à l’époque je préférais me dire « Ça va, je vais gérer ».

Mais après y’a aussi cette… Je savais pas à qui demander de l’aide. Puis tu peux pas aller puis demander « Tu sais, j’ai tel problème… » c’est pas évident d’aller évoquer cette problématique là avec tout le monde.


CLD : Est-ce que tu as des frères ou sœurs ?

R : Oui, j’ai 3 petites sœurs et 2 petits frères.


CLD : Ok et tu sais si elles et eux aussi ont pu aider tes parents de cette façon.

R : Non. C’est les premiers qui prennent, après le reste… Enfin, je dis ça parce que après ça dépend : y’a les premiers et puis y’a vraiment le premier ou la première à qui on demande souvent. Généralement y’en a pas deux ou trois, généralement c’est celui-là.


CLD : Et ton ressenti si aujourd’hui t’as envie de porter un regard sur toute cette histoire d’aide… est-ce que t’as envie de nous exprimer quelque chose, est-ce que tu as envie de mettre le doigt sur quelque chose dont il faudrait qu’on ait connaissance, nous ?

R : Quand [Nehémia] m’a parlé du projet je trouvais que c’était super bien et je me suis dit « Ah beh elle fait du social aussi » et c’est super bien de pouvoir aider les aidants. Parce que ce sont des aidants, on se dit qu’ils savent tout faire ou qu’ils n’ont pas forcément de difficulté alors que c’est les premier. 

Quand on te demande… ‘fin, je me dis quand ma mère me demandait car elle ne savait pas c’est comme si je me disais que je devais savoir, alors que pas forcément. Je pouvais aussi demander, dire je sais pas « On va chercher de l’aide ailleurs », mais en fait, ça prenait jamais ce sens-là. C’est toujours « je devais savoir » et du coup ça mettait une pression en plus.

Donc je trouve ça super de pouvoir aider les aidants. J’espère que votre projet va aboutir.


CLD : Par rapport à ça est-ce que toi tu aurais des idées, en tant qu’aidante, d’outils, de solutions, de services qui auraient pu t’aider à l’époque ou encore maintenant ?

R : Je pense que des vidéos sur une plateforme qui explique, pour aider les aidants à être… à aider… et aussi pouvoir les sensibiliser au fait qu’ils ne sont pas obligés de tout savoir et qu’il y a des professionnels qui sont à leur disposition pour les accompagner, parce que comme ça ça allège la charge.

Parce qu’il y a aussi le fait que la maman… enfin « la maman »… en tout cas dans ma culture, elle va pas comprendre pourquoi je dois aller demander à quelqu’un d’autre si j’ai ma grande fille qui est là. Peut-être une aide pour la grande fille ? Elle est là ta fille mais elle va être aidée aussi parce que… parce que je me dis que si y’a juste un dispositif pour les aider, ils iront pas – en tout cas c’est ce que je me dis –, ils vont pas se dire « Ah je vais aller », nan j’ai quelqu’un à la maison qui peut m’aider c’est plus facile donc je m’appuie. Et ils ont pas forcément conscience de la charge que ça peut être.


CLD : Donc tu verrais deux angles ? Un angle de sensibilisation pour montrer que les aidants, les aidantes ne sont pas tous seuls ou toutes seules dans ce cas, qu’on a des ressources pour les aider ? Et un autre côté plus justement pour les aider concrètement ?

R : Oui. Je disais plus les vidéos parce que moi je trouvais que c’était plus facile que de lire.


CLD : Qu’est-ce que tu voudrais dire aux autres aidants ?

Je leur dirais de ne pas trop prendre les émotions ou la situation de leurs parents pour eux, ce n’est pas leur vie. Mais qu’ils peuvent aider. Mais c’est pas leur vie.